Cité de la Réussite 2024 : Thierry Derez participait à deux débats autour de la confiance

Cette année, les débats se sont articulés autour du thème de la confiance, un socle essentiel de l'existence individuelle et sociale, aujourd'hui menacé par une montée en puissance de la défiance envers les institutions, les experts et les scientifiques. Cette méfiance favorise l'isolement, la surveillance mutuelle, les incivilités et le ressentiment, érodant les valeurs humanistes telles que la solidarité, l'ouverture et le respect d'autrui. 

Thierry Derez, Directeur général de Covéa, a pris part à deux des 60 débats auxquels ont participé 200 personnalités internationales du monde économique, politique, scientifique et culturel. Ces deux débats ont été enregistrés et sont disponibles en replay. 

« Comment aborder en confiance les enjeux de notre temps »

(Début du débat à 4:27 minutes)

Paris - La Sorbonne - samedi 23 novembre

 « Que nous enseigne l’histoire sur la résilience des sociétés ? »  

(Début du débat à 0:51 minute)

Bonjour à tous et merci d'être si nombreux ce dimanche au Collège de France, un lieu de savoir où nous arrivons en pleine confiance. Aujourd'hui, nous allons parler de la résilience des sociétés, un concept crucial pour comprendre comment nos sociétés se rétablissent après un choc ou une perturbation. Dans le cadre de ce débat de la Cité de la Réussite sur la confiance, j'accueille Thierry Derez, directeur général du groupe Covéa, Grégory Quenet, historien et professeur en histoire de l'environnement à l'université Versailles Saint-Quentin, et Lluis Quintana Murci, généticien et professeur au Collège de France et à l'Institut Pasteur.

Thierry, dans le monde de l'assurance que vous observez depuis une carrière, à quel moment la question climatique est-elle apparue comme un sujet majeur pour les assurances ?

Thierry Derez : Bonjour. J'espère que nous ne faisons pas qu'observer le changement climatique, mais que nous sommes également actifs sur ce front. L'accentuation des lignes de force du changement climatique remonte à environ quarante ou cinquante ans. Pour les plus jeunes dans la salle, un repère chronologique pourrait être la campagne de René Dumont, qui, lors de l'élection présidentielle, attirait l'attention sur l'incongruité de la consommation énergétique en utilisant des exemples comme une boîte de petits pois. Le changement climatique est en fait le résultat de l'utilisation des énergies fossiles pendant plus d'un siècle.

Grégory, avec votre regard de scientifique et d'historien, pouvez-vous nous parler de l'histoire environnementale et de son évolution, notamment en France ?

Grégory Quenet : L'histoire environnementale a effectivement plus de 50 ans. Aux États-Unis, elle a émergé dans les années 1970, dans un contexte de mobilisation contre la guerre du Vietnam et de prise de conscience de l'impérialisme écologique américain, ainsi que des manifestations pour les droits civiques. En France, l'intérêt pour les questions climatiques a également été présent, notamment avec des figures comme Fernand Braudel et Emmanuel Le Roy Ladurie, qui ont intégré les résultats climatiques dans leurs travaux. Cependant, le climat était perçu comme une grande structure de longue durée, et non comme des variations de court terme ou une question politique. Cette perception a retardé la rencontre entre l'histoire environnementale et les préoccupations politiques en France, contrairement aux États-Unis.

Lluis, en tant que généticien, comment voyez-vous l'impact des changements climatiques sur la génomique humaine et l'évolution ?

Lluis Quintana Murci : Les changements climatiques ont un impact significatif sur la génomique humaine et l'évolution. Les perturbations environnementales peuvent influencer la sélection naturelle et les adaptations génétiques. Par exemple, les populations humaines ont dû s'adapter à des environnements changeants tout au long de l'histoire, et ces adaptations sont inscrites dans notre génome. La résilience des sociétés face aux changements climatiques dépend en partie de notre capacité à comprendre et à anticiper ces adaptations génétiques.

Merci à vous trois pour ces éclairages. La résilience des sociétés face aux changements climatiques est un sujet complexe qui nécessite une approche multidisciplinaire, combinant histoire, science et génétique. Continuons à explorer comment nos sociétés peuvent s'adapter et se rétablir après des perturbations majeures.

Aujourd'hui, l'histoire environnementale se développe partout dans le monde de manière différente, ce qui montre que chaque société a sa propre manière d'assembler les êtres humains et non humains. Cela nous rappelle que nous avons une seule planète, mais qu'elle est habitée par des mondes différents. Comment faire du commun à partir de ces mondes différents reste une question complexe.

La génétique joue un rôle crucial dans cette histoire. Elle étudie la diversité de notre ADN et montre comment notre espèce a pu s'adapter à différents environnements grâce à des adaptations biologiques et génétiques. Par exemple, les humains ont survécu aux grandes épidémies et aux changements climatiques du passé grâce à ces adaptations. La génétique permet de comprendre comment ces adaptations se sont produites et comment elles peuvent nous aider à traiter les maladies infectieuses aujourd'hui. En étudiant les mutations génétiques qui ont permis aux gens de survivre à des événements comme la peste noire, nous pouvons mieux comprendre comment survivre aux défis actuels et futurs.

L'histoire, tout comme la génétique, est une réflexion sur le temps. Les historiens et les généticiens sont des gens du présent qui utilisent le passé pour comprendre le présent et envisager l'avenir. Dans le monde de l'assurance, cette réflexion sur le temps est également essentielle. Les assureurs utilisent des modèles mathématiques pour prévoir les risques futurs en se basant sur les données du passé. L'assurance repose sur deux disciplines principales : les mathématiques pour calculer les probabilités de risque et le droit pour déterminer les garanties et protections offertes par les contrats d'assurance.

L'accumulation des données est cruciale pour alimenter ces calculs mathématiques. L'histoire de l'environnement, bien que difficile à construire, est essentielle pour comprendre les interactions entre les sociétés humaines et leur environnement. En combinant les perspectives de l'histoire, de la génétique et de l'assurance, nous pouvons mieux comprendre comment nos sociétés peuvent se rétablir et s'adapter après des perturbations majeures.

L'histoire environnementale, comme l'a souligné Grégory Quenet, nous montre que les humains ont toujours été confrontés à des perturbations climatiques et ont dû s'adapter ou échouer. Les œuvres d'art, par exemple, peuvent nous offrir un clin d'œil sur ces changements, révélant comment les sociétés ont perçu et réagi aux défis environnementaux à travers les âges. Cette capacité à s'adapter est essentielle pour comprendre comment les sociétés peuvent naviguer dans des périodes d'incertitude.

Lluis Quintana Murci a expliqué que la génétique joue un rôle crucial dans cette adaptation. En étudiant les génomes fossiles, nous pouvons voir comment les populations humaines ont survécu à des épidémies et à des changements climatiques. Par exemple, une mutation qui augmentait le risque de tuberculose a diminué en fréquence au cours des 2000 dernières années, montrant comment la sélection naturelle a favorisé ceux qui étaient mieux adaptés à leur environnement. Cette compréhension des adaptations passées peut nous aider à mieux comprendre et à anticiper les défis actuels et futurs.

Thierry Derez a souligné que le monde de l'assurance repose sur une réflexion sur le temps, utilisant des modèles mathématiques pour prévoir les risques futurs en se basant sur les données du passé. Cependant, les progrès en génétique posent des défis pour l'assurance, notamment en ce qui concerne l'asymétrie d'information. Si les individus ont accès à des informations génétiques que les assureurs n'ont pas, cela peut briser la mutualisation, un principe fondamental de l'assurance. Cela soulève des questions sur l'équilibre entre les progrès scientifiques et l'équité dans les pratiques d'assurance.

En combinant les perspectives de l'histoire, de la génétique et de l'assurance, nous pouvons mieux comprendre comment nos sociétés peuvent se rétablir et s'adapter après des perturbations majeures. La clé réside dans la capacité à décrire le monde de manière dense et à reconnaître la singularité des lieux et des expériences. Cela demande du temps, de la complexité et une approche hétérogène, mais c'est essentiel pour naviguer dans des périodes d'incertitude et de changement.

Thierry Derez a souligné un point crucial concernant l'assurance et les risques climatiques. Il est envisageable que certains risques deviennent trop grands pour être assurés, mais cela semble encore très éloigné. Actuellement, la cotisation d'une assurance habitation représente environ le millième de la valeur du bien, ce qui est relativement faible comparé à la durée de vie des constructions.

Cependant, Thierry Derez n'est pas favorable à une augmentation continue des cotisations en réponse aux coûts croissants des risques climatiques. Il estime que ce mécanisme ne serait pas à la hauteur des ambitions d'une société évoluée. La solution réside dans la prévention, un processus long, fastidieux et peu gratifiant, mais essentiel pour atténuer les effets des risques climatiques.

L'assurance repose sur la mutualisation, où chacun paie une fraction de la cotisation pour couvrir des risques qui ne le concernent pas directement. Si nous n'acceptons pas ce principe, nous devrons nous tourner vers l'épargne individuelle, ce qui pourrait être insuffisant pour rebâtir une maison détruite. La mutualisation est dynamique et évolutive, nécessitant un équilibre constant pour fonctionner efficacement.

En fin de compte, l'assurance crée du lien entre les individus. En acceptant de payer pour des risques comme les avalanches, même si l'on habite à Paris, on participe à un acte de mise en commun. Refuser ce principe d'individualisation fragmente la communauté, alors que nous avons besoin de renforcer ces liens face aux périls actuels.

Thierry Derez, directeur général du groupe Cov'a, lors de la Cité de la Réussite : L'assurance ne fera pas tout et elle ne doit pas tout faire. L'assurance est un contributeur à sa mesure à ce lien social dont, encore une fois, en tout cas c'est mon point de vue, nous avons besoin.

Grégory Quenet, avec cette réflexion qu'on a sur ce lien social, l'histoire environnementale, on le sent bien, touche très fort à l'actualité et contribue à apporter aussi des arguments à la réflexion sur les changements climatiques. Je ne peux pas dire que c'est une histoire militante parce que l'histoire n'est pas militante. L'histoire, c'est une discipline universitaire scientifique et on fait le boulot en appliquant des méthodes. Mais il y a un écho ici et on le sent bien. Il y a une idée de lutte qui existe dans la société et l'histoire est là aussi pour apporter des arguments à ces luttes. On peut le dire ainsi, oui, c'est cette matrice des années 1960-1970, une histoire qui était très politique, qui se mobilisait pour des dominés, qui étaient les non-humains.

Et si je reviens à cette différence et ce qui se passait en France au même moment dans les années 1970, c'est le moment où la France, ce pays qui a toujours été un peu en retard par rapport à d'autres tout en se racontant une autre histoire, veut se moderniser à toute vitesse. Et donc l'environnement bascule du côté d'un temps long qui est celui de la patrimonialisation de l'environnement. Et d'ailleurs, ce sont les mêmes personnes qui protègent la nature et qui modernisent à toute vitesse. On sait que le Conservatoire du littoral, qui est créé en 1974 et pensé par les gens de la DATAR, c'est ceux qui font les autoroutes, qui font la Grande Motte, qui font les stations de ski intégrées parce qu'il faut placer une partie du territoire sous cloche. Heureusement qu'on l'a fait pendant qu'une autre partie se transforme. Et donc, du coup, effectivement, il y a eu un peu cette réticence et je pense qu'aujourd'hui c'est une très bonne nouvelle de montrer qu'il y a cette dimension politique et cette dimension de lutte.

Après, comme vous l'avez dit, on est dans une discipline scientifique. Donc la question c'est : quels outils on a ? Par exemple, je pense qu'il faut absolument qu'on ait des outils qui soient capables d'intégrer ce qui se passe du côté des sciences de la nature, du côté de la génétique, pour écrire une histoire plus complexe. L'histoire environnementale a toujours quasiment nié les insectes et les sol. On a beaucoup d'animaux, on a beaucoup de plantes, donc on peut toujours progresser. Et puis la deuxième chose, c'est que ça pose des questions d'écriture de l'histoire. Est-ce que c'est faire une histoire des vaincus, ceux qui auraient toujours perdu, ou alors est-ce qu'il s'agit plutôt de faire une histoire un petit peu différente qui est de montrer comment il y a eu des bifurcations, des césures, des possibles qui se sont fermés que l'on peut réouvrir. Par exemple, tout à fait modestement, ce travail sur le Louvre, c'est une manière de dire au moment où les musées ont l'injonction de devenir écologiques, ce qu'ils ne sont pas en termes de consommation d'énergie de bâtiment, absolument pas, puisque un musée ça consiste à arracher des œuvres à la nature pour les mettre dans un environnement entièrement régulé par une facture énergétique extrêmement forte. Eh bien, en réalité, on peut les travailler et montrer qu'ils ont une dimension écologique de l'intérieur et qu'ils peuvent changer même leur définition et leur identité.

Et donc, je préfère ça par rapport à une histoire des vaincus parce que l'histoire des vaincus, c'est le risque d'avoir un miroir et on se regarde de manière inversée. On disait mais il y avait les vainqueurs, mais en fait on va retourner l'histoire, mais finalement je ne suis pas sûr qu'on comprenne mieux. Et ma question d'historien, c'est vraiment comment les sociétés se transforment, comment elles se bloquent, y compris à travers les institutions. Par exemple, si je peux me permettre de donner un exemple ici, puisqu'on est entre ces murs, il n'y a plus de géographie au Collège de France depuis 1976. Maurice Lanou, la dernière chaire, chaire au titre intéressant, c'était la chaire de géographie du continent européen. Est-ce qu'il n'y a pas deux dimensions dont on aura absolument besoin ? La capacité à décrire le monde dans sa physicalité d'un côté et de l'autre côté penser le continent européen dans une unité à la fois physique et culturelle, ce qu'on est toujours incapable de faire. Eh bien, c'est un exemple de ces décalages-là. Mais après, ça pose des questions scientifiques qui doivent être posées dans toute la robustesse. Est-ce que la géographie est aujourd'hui capable de le faire alors qu'elle est devenue une science de l'aménagement du territoire et de l'espace et qu'elle ne pense plus la singularité des lieux, qu'elle est devenue une science qui accompagne la géographie économique et la mondialisation. Donc voilà, c'est toutes ces questions-là et bien évidemment on rentre encore une fois dans une grande complexité mais qu'il faut prendre à bras le corps.

Avant de donner la parole au panel des étudiants, une dernière question. Lluis Quintana, malgré tout, aujourd'hui est un moment exceptionnel dans cette très longue histoire où pour la première fois une espèce, l'humain, a la capacité de changer son environnement à ce point-là. Aussi, c'est quelque chose qui fait qu'on doit regarder la période que nous vivons avec les outils d'études peut-être des autres périodes mais sans doute avec un autre regard parce que c'est la première fois qu'on change autant notre environnement, en tout cas consciemment à ce point. Oui, mais je pense qu'on va s'en sortir parce qu'on sait toujours. Il faut être optimiste sans que ça veuille dire qu'il faut se relâcher sur certains points. Mais si on est là pour discuter de tirer des leçons de l'histoire, y compris l'histoire de l'évolution de la génétique, de qui nous sommes aujourd'hui grâce à notre passé, on s'en est toujours sorti. Bien après, on n'est pas qu'une boîte à gènes. On a des technologies, on a des façons de prévention de tout ça. C'est juste une question d'être conscient mais pas pour ça il ne faut pas se plomber. Il faut être positif. Merci pour ce message d'espoir, ça fait du bien !

On passe au panel avec des questions. Les micros sont là et je vais vous demander de vous présenter avant la question, comme ça on va vous découvrir.

Bonjour, Thomas Baudoin, étudiant à l'INSA Toulouse et à Sciences Po Toulouse. Pour continuer dans cette lignée et par rapport aussi à ce que vous disiez tout à l'heure, Monsieur Quenet, sur la stabilité dans des moments d'incertitude, on voulait vous poser une question à l'ensemble des intervenants. Avez-vous l'impression que nous sommes aujourd'hui dans une phase de résilience avec les montées des tensions, les crises ou la polarisation de notre société ? Et si nous n'y sommes pas encore, avez-vous l'impression que nous nous y approchons ? Vous êtes de quel signe astrologique ? Vous, Taureau ? Ok, alors qui veut commencer à répondre ? Allez-y, Grégory.

Oui, alors résilience, il faudrait définir résilience. Il y a d'abord une première partie qui est de dire que la résilience ce sont des mécanismes que l'on peut identifier : le droit, les assurances. Il y a eu ici un cours d'une année de Kyle Harper sur la résilience. Je pense qu'une des choses qui m'ont le plus fasciné, c'est une intervention sur le Nil pendant la période romaine en montrant comment le Nil a varié de manière très importante. Les crues du Nil, et bien les occupants Romains ont mis en place un système où ils faisaient varier les impôts avant les crues du Nil de telle sorte que les agriculteurs puissent changer leur méthode culturale et réinvestir au lieu de baisser les impôts après des crues du Nil qui ont baissé des récoltes catastrophiques, ce qui est ce à quoi nous sommes habitués. Donc là, vous avez un mécanisme. On peut travailler sur des mécanismes de résilience, mais vous avez une deuxième dimension à laquelle ce concept de résilience ne répond pas, qui sont les choix. Comment une société fait-elle des choix ? Et là, d'ailleurs, le concept de résilience quand il est à titre individuel comprend cette partie-là puisqu'on l'utilise. Comment est-ce qu'un individu survit à un traumatisme ? Certains sont capables de le faire, d'autres non. Et on touche à quelque chose qui est le choix collectif d'une société de ne pas se bloquer ou de se transformer, et bien c'est beaucoup plus difficile à saisir.

Enfin, il y a une troisième dimension dans la résilience, c'est avec quelles cartes on joue. C'est comme une partie, quelles cartes on a entre les mains. Le Roy Ladurie avait une très belle expression dans "Les Paysans de Languedoc". La première partie qu'on connaît peu parce qu'elle n'a pas été éditée en poche, il appelait ça les champs de force. Il mettait climat, circulation des plantes, circulation, migration des hommes. Et c'est ça, quels sont les champs de force, quelles cartes, combien de tours à la partie ? Est-ce qu'on est au bridge, est-ce qu'il y a un nombre de tours infinis, est-ce que toutes les combinaisons sont possibles ? Et là, on a des éléments qui relèvent à la fois de la génétique, de la climatologie. Donc c'est tout ça qu'il faut prendre en compte. Et je dirais, parce qu'il faut que je réponde à votre question, que si on se centre que sur la première partie, c'est des mécanismes de résilience avec une sorte de main invisible qui va régler les questions sans se poser ni la question des choix ni la question des cartes que l'on a entre les mains pour jouer cette partie, et bien on n'arrivera pas à s'en sortir de manière complète.

D'autres éléments de réponse du côté génétique ou du côté assurance ?

Alors, assurance, côté assurance, pas mieux, pas mieux. C'est bien les cartes en main. Et alors sur le temps autre de la génétique, c'est vrai que la question de la résilience est une question complexe. La question du choix est une question complexe parce que le choix suppose conscience, réflexion de la chose. La génétique nous montre aussi qu'il y a d'autres paramètres qui rentrent en ligne de compte et qui permettent de comprendre comment on subit et qu'on se sort bien ou moins bien d'un choc ou d'une perturbation. Mais il y a des choses qu'on ne sait pas expliquer. Il y a beaucoup, beaucoup de choses qu'on ne sait pas expliquer en génétique non plus. Moi, je travaille en génétique donc je raconte la part génétique des choses, mais comme je disais avant, on n'est pas qu'une boîte à gènes, on n'est pas prédéterminé à ce point. On interagit avec l'environnement. Des exemples très clairs, ce qu'on appelle en jargon les interactions gène-environnement, c'est une logique immense. En même temps, il y a certaines mutations qui prédisposent à l'obésité, mais si vous mangez peu, vous n'allez pas être gros. Donc il y a l'interaction avec l'environnement dont il faut en tenir compte. Donc ça c'est des choses qu'on comprend relativement peu encore, on mesure relativement peu encore, mais il y a beaucoup, beaucoup de choses qu'on ne comprend pas quand on parlait du choix.

On sait que les humains quittent l'Afrique il y a 60 000 ans. Ils vont partout dans le monde, quel que soit l'environnement. Il y a des endroits où les humains arrivent très récemment, comme par exemple au Pacifique Sud. C'est juste dans les dernières 1000 ans, même ce qu'on appelle le triangle polynésien, qui est délimité au nord par Hawaï, à l'est par l'île de Pâques et à l'ouest par la Nouvelle-Zélande. Tout ce qu'il y a au milieu, c'est la Polynésie. C'est seulement depuis 700 ans que les humains arrivent là. Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que pourquoi les humains ont pris des bateaux et, tandis qu'en Océanie proche (Australie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon), ils voyaient toujours où ils allaient, même si c'était loin, ils avaient une intention, un choix d'aller là très loin. Tandis qu'à partir de ce qu'on appelle l'Océanie lointaine, les humains allaient quelque part mais ils ne voyaient pas. Donc pourquoi ? D'ailleurs, pourquoi les humains ont quitté l'Afrique ? Ce sont des choses auxquelles on ne sait pas encore répondre. Mais les zones d'ombre, les silences et les mystères font aussi partie de toute cette réflexion.

Une autre question du côté du panel après Thomas. Allez-y, je vous laisse vous présenter.

Bonjour à tous, Mayumi Bergadieu, étudiante au SELSA en communication et marketing. Ma question pour vous est d'ordre général. Vous commenciez tout à l'heure, Grégory Quenet, à définir ce qu'était la résilience. Justement, ma question était : quel est l'angle de notre résilience ? Est-ce que c'est de ne pas disparaître ou bien d'augmenter notre profit ainsi que notre pouvoir ?

Si je peux commencer d'un point de vue génétique et d'un point de vue évolution, puisque c'est ce dont je sais parler. La résilience est la capacité de survivre et de transmettre vos gènes. C'est ça la sélection naturelle. Si vous décédez à 70 ans ou si à 50 ans vous avez une maladie cardiovasculaire, entre guillemets, elle s'en fiche, la sélection naturelle. Tout ce qui compte, c'est d'arriver à l'âge de reproduction et de transmettre, de faire des enfants. Donc c'est ça pour la sélection naturelle. Il ne faut pas oublier que c'est grâce à elle que nous sommes tous là aujourd'hui, sans exception. C'est ça qui compte pour la sélection naturelle. Excusez-moi, j'ai dit la sélection naturelle. Aujourd'hui, dans certains pays du monde, parce que souvent on dit oui mais aujourd'hui on se reproduit moins, on a la médecine moderne qui nous a permis quand même en 100 ans, de la fin du 19e siècle, que 38 % de la population arrive à l'âge de 40 ans. Aujourd'hui, c'est 90 % en 120 ans. Mais souvent on dit oui mais attention, ça c'est dans certaines parties de la planète. Il y a beaucoup de régions dans notre planète où la sélection naturelle continue à agir d'une façon sauvage. Donc il ne faut pas l'oublier, hein.

Et du côté de l'assurance ? Oui, Thierry Derez, je ne sais pas si ce sera du côté de l'assurance. Allez-y.
Très clairement, il semble que l'alternative que vous proposez nous guide plutôt vers la survie de l'espèce. Même si la façon dont la question est formulée, survie de l'espèce d'un côté, profit et pouvoir de l'autre, guide la réponse, mais illustre surtout à mes yeux la difficulté de conjuguer le temps court et le temps long. Je pense que par rapport au réchauffement climatique, même si j'entends avec beaucoup de satisfaction et d'espoir la capacité de mutation génétique dont notre espèce est l'illustration en étant toujours là, quelques millions d'années après son apparition, c'est quand même la conciliation avec le temps court. Le profit, le pouvoir, c'est du temps court. Les enjeux qui sont attachés à la modification de la teneur d'oxygène dans l'air, c'est du temps long. Et c'est donc la survie de l'espèce qui est en cause. Et c'est vrai que trop souvent, mais ça c'est aussi la nature humaine, j'ai pas dit génomique, hein, c'est la nature humaine, on a plus facilement envie de regarder ce qui est pour bientôt, éventuellement maintenant, plutôt que ce qui est beaucoup plus lointain et qui est beaucoup plus difficile à appréhender. Donc c'est la conciliation entre ces deux notions. Mais à mon sens, ce qui est en cause avec le réchauffement climatique, c'est la survie de l'espèce, à tout le moins d'une espèce qui ne sera pas trop différente de la nôtre dans ses caractéristiques. Ce n'est pas ma spécialité, mais à peu près il y a 4 milliards d'années, 3 milliards et demi d'années, sont apparues ce qu'on appelle les algues bleues. Les algues bleues ont fait en à peu près 500 millions d'années ce que nous nous apprêtons à faire en une quarantaine, une centaine d'années. Elles ont fait quoi ? Elles consommaient du carbone et elles émettaient de l'oxygène. Elles ont changé la composition de l'atmosphère. Elles ont pris du temps, ces petites algues, ces petites bestioles. Elles n'ont pas les moyens majestueux qui sont ceux de l'être humain, mais elles ont totalement modifié l'atmosphère. Si aujourd'hui on a à peu près 20 % d'oxygène dans l'air, c'est grâce à elles. Elles ont mis 500 millions d'années. Si nous faisons en cent ans ce que les algues bleues ont fait, mais dans l'autre sens, on a un vrai sujet quand même. Et franchement, la question de savoir s'il y aura du profit, du pouvoir ou autre, le pouvoir c'est bien quand vous avez plein de gens à gouverner, mais s'il n'y a plus personne, ça sera un peu différent quand même. Donc je pense qu'il y a quand même une gradation dans l'humain. Ceci étant, aujourd'hui nous sommes organisés autour du pouvoir et c'est donc une question qui se pose directement au pouvoir.

Avec Grégory Quenet, une réflexion peut-être aussi à avoir sur l'histoire même de l'histoire environnementale ou la notion de progrès, parce que c'est aussi en lien avec l'idée de profit. On voit au 19e siècle comment, avec l'industrialisation, l'idée de progrès s'impose et va à l'encontre d'une idée qui serait ou qui est présentée comme réactionnaire, qui serait celle de "attention, méfions-nous de ce progrès". Il y a ici quand même une réflexion à avoir entre la survie de l'espèce et l'enrichissement, parce que c'est une question qui nous réunit tous. C'est quel est le temps dans lequel on vit aujourd'hui qui a profondément changé, puisque le temps de la nature change presque plus vite que le temps des sociétés, alors qu'on était plutôt habitué à l'inverse. La nature bougeait lentement et la société bougeait vite. C'est la notion de progrès. Et ensuite, quelle est la nouvelle forme du temps que l'on a inventée qui permette de saisir toutes ces transformations et de les dessiner pour ne pas avoir, comme vous le dites, ne pas réactiver quelque chose qui soit une flèche du temps linéaire qui aille vers un progrès indéfini. D'ailleurs, on peut dire que la croissance peut-être n'est elle-même que la même flèche du temps, mais simplement qui irait vers le bas. Donc ce n'est pas quelque chose de très complexe. Donc comment inventer cette nouvelle forme du temps ? Et là, on engage quelque chose qui est la façon dont une société est capable de se dessiner un horizon d'attente. Un horizon d'attente, c'est-à-dire quelque chose qui est à venir, qui n'est pas encore là, vers lequel se mettre en marche.

Là, je pense que c'est un sujet de clivage aujourd'hui sur les questions écologiques. C'est-à-dire, est-ce que la critique du progrès, qui est nécessaire, doit nous conduire à refuser tout horizon d'attente ou alors est-ce qu'au contraire il faut réinventer un autre horizon, mais qui ne soit pas exactement celui auquel on est habitué ? Et je pense, pour ma part, c'est un travail assez étrange que j'ai fait ces dernières années au Collège des Bernardins où j'ai travaillé avec des théologiens, ce qui était tout à fait inédit pour moi. Finalement, on peut inventer une forme du temps où le futur est en quelque sorte dans notre dos, puisque l'inertie des changements et des mécanismes physiques fait qu'une partie des choses est déjà engagée. Même si on arrête aujourd'hui de produire du CO2 de manière massive, le changement climatique est déjà engagé pour une part pour les 50 ans à venir. Ce qui est devant nous, c'est le passé, c'est-à-dire ce dont on hérite, parce qu'on ne sait pas comment habiter tout ce dont on hérite de la modernité et le mettre en mouvement.

Il y a une autre version, ce qu'on appelle les "eco-modernisme", qui est de dire qu'on va repartir à zéro, tout faire vert, les avions, les immeubles, tout. C'est ce qu'on appelle parfois la transition énergétique. Jean-Baptiste Fressoz a très bien montré que le coût énergétique extractiviste de cela est insoutenable pour la planète. Donc, si on veut trouver une solution, il ne faut pas faire autrement que d'habiter pour partie autrement ce que l'on existe, en le mettant en mouvement et en découvrant des potentialités de transformation du côté de l'architecture, du côté des institutions. C'est la question du temps long. L'État, pendant longtemps, a incarné le temps long. Aujourd'hui, il est considérablement affaibli sur ces questions. Je prends juste un exemple : l'État, pendant des siècles, a été le moteur principal de construction de savoirs, de description de la nature. Les savoirs d'État étaient la capacité à compter le nombre des hommes, à décrire les cultures pour savoir combien de personnes allaient pouvoir faire la guerre, comment les impôts allaient rentrer pour financer cela. Aujourd'hui, l'État a perdu cette capacité à décrire. Donc, dans ce cas-là, comment peut-il être dépositaire du temps long ? Il est très affaibli sur ceci. Et donc là, il y a une vraie question qui engage la résilience.

Mais on a aussi des moments de l'histoire où des sociétés peuvent être fascinées par leur propre destruction quand elles se pensent comme bloquées. Dans les décennies qui précèdent la Révolution française, c'est mon premier sujet de recherche sur les tremblements de terre en France au 17e et 18e siècle, il y a une fascination, une passion pour les catastrophes. On met dans son salon des tableaux du Vésuve, on fait des volcans artificiels comme le prince d'Anhalt-Dessau dans son domaine de Wörlitz, des volcans artificiels qui crachent le feu, et on rêve de sa propre destruction parce qu'on pense qu'on ne va pas pouvoir se transformer. La Révolution française est sortie de cela en surmontant les destructions parce qu'un concept révolutionnaire central est la régénération qui sort de la destruction. Mais voyez que c'est lourd de souffrance, de douleur.

L'importance de la résilience, et on voit bien avec tout ce que vous nous dites, c'est ces regards différents, comment le débat et l'échange sont féconds. Alors, du panel, une autre question après, on passera les questions à la salle. Le panel, allez-y, vous vous présentez.

Je m'appelle Solène, je suis aussi une étudiante à Sciences Po Toulouse et à l'INSA Toulouse. J'aurai une question spécialement pour Monsieur Quintana Merci. Vous avez parlé de l'adaptation du génome par rapport à la peste, vous avez aussi parlé de mutations génétiques qui favorisent l'obésité. On peut se dire que nos modes de vie contemporains, l'environnement dans lequel on vit à l'heure actuelle, encouragent aussi ce type de mutations génétiques. Donc, s'il y a une adaptation de notre génome maintenant, est-ce qu'elle va plutôt dans un sens favorable à notre santé ou au contraire vers le développement de maladies diverses et variées ?

Merci, merci parce que la question est extrêmement importante. L'évolution et l'adaptation génétique vont toujours dans le côté favorable, c'est-à-dire une mutation qui nous permet de vivre en altitude, une mutation qui permet à la plupart d'entre nous de digérer le lait à l'âge adulte, une mutation qui permet à une immense partie des Africains de résister au paludisme. La mutation apparaît, elle est sélectionnée toujours dans le bon sens. En revanche, elle est sélectionnée dans le bon sens à un moment donné, avec un environnement donné et une géographie donnée. Mais l'environnement change, de nouvelles maladies apparaissent. Si la planète, ou en tout cas l'hémisphère nord, se réchauffe et qu'on a plus de moustiques, et qui dit plus de moustiques dit plus de maladies infectieuses portées par les moustiques, genre le virus de la dengue en France, dans le sud de la France, est-ce que les mutations qui nous ont permis de survivre dans les dernières milliers d'années continuent à être avantageuses ? Si c'est ça votre question, pas toujours. Pas toujours parce que les mutations, il y a des travaux, y compris ceux de mon laboratoire, qui ont montré que notre système immunitaire, il y a certaines mutations de notre système immunitaire qui ont augmenté en fréquence dans les dernières milliers, juste les dernières 3 000 à 4 000 ans de l'histoire européenne, parce que ces mutations-là sont associées à un système immunitaire très combatif pour mieux résister aux maladies infectieuses. Mais ces mêmes mutations aujourd'hui, avec le changement de mode de vie, le fait qu'on a moins de maladies infectieuses, en tout cas certaines, ces mêmes mutations sont liées à une incidence plus importante en Europe de l'Ouest en particulier de maladies allergiques, auto-immunes et inflammatoires. Donc, des mutations qui ont été avantageuses par le passé, avec un changement de type de vie, un changement d'environnement, l'arrivée de nouvelles maladies, ne le seront pas nécessairement aujourd'hui. Mais toujours, l'évolution va dans le sens positif. Ce qui est sélectionné aujourd'hui dans nos sociétés, c'est parce que ça nous permet de plus survivre et de plus nous reproduire. Dans 2 000 à 3 000 ans, on verra.

Et est-ce qu'il y a des éléments de réponse, Thierry Derez ou Grégory Quenet ? Thierry Derez : là vous avez, c'est ce que vous évoquiez avec le cas du Canada, enfin, dans cette réflexion statistique de probabilité, l'évolution des modes de vie, ça rentre en ligne de compte. Mais on le voit bien, je ne dis pas que c'est un suicide de société de manger si mal, mais enfin, la société ne se porte pas bien, les individus ne se portent pas bien. Oui, je pense qu'il y a un décalage en termes d'échelle temporelle entre les travaux qui sont menés autour de la génétique, et donc j'entends à travers les propos de Lluis qu'on parle plutôt de milliers d'années. L'assurance n'a pas cette ambition ni cette arrogance. Nous, quand on prévoit déjà 3 à 4 ans, on est extrêmement content. La possibilité que les gènes mutent en 3 à 4 ans me paraît assez limitée, à moins de tomber pile au bon, mais à ce moment-là, il vous pousse un toupet blond sur la tête et vous allez traverser l'océan et vous faites une très belle carrière. Ça, c'est de la génétique de science-fiction. Mais le mode de vie, lui, il change plus rapidement que la génétique, c'est ça Grégory Quenet ? Oui, c'est l'exemple même. C'est qu'on est dans une temporalité qui n'est pas linéaire, puisque quelque chose qui est un progrès à un moment peut se révéler un frein.

Ça fait tout de suite des échos parce que cette temporalité linéaire, on va pouvoir étudier la façon dont elle croise d'autres types de temporalités. La temporalité des allergies est liée à des transformations, par exemple des modes de culture. Avant la Seconde Guerre mondiale, il y avait, comment dire, 200 variétés de blés qui étaient homologuées. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour nourrir une population qui avait faim et pour surmonter cela, on en arrive à sélectionner 16 variétés qui sont homologuées et on considère que 8 simplement sont panifiables. Donc évidemment, il y a un choix de société qui va accentuer des allergies. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui l'allergie au gluten, qui est le croisement entre transition génétique et des choix de société, des choix techniques dans la sélection des cultures. Donc, c'est cette profusion des temporalités dont il faut étudier finalement les points de rencontre.

Une question du panel ? Oui, moi j'ai juste une rapide question pour Monsieur Derez. Quand on sait, d'un côté, j'ai entendu vos paroles rassurantes sur la surprime potentielle qui pouvait y avoir par rapport à l'indemnisation des biens, mais quand on sait qu'un risque, pour être assurable, doit être aléatoire, économiquement soutenable et quantifiable, et que de l'autre, un risque comme l'érosion du trait de côte est finalement assez prévisible, je pense que la question que tous les propriétaires se posent, c'est : qu'est-ce que je fais de ma maison sur l'île d'Yeu et est-ce qu'elle reste assurable éternellement ?

C'est là où on est à la jonction entre l'assurabilité et la prévention. Souvenez-vous, au moment de la tempête, je crois que c'était Quinten, avec la destruction de la commune de La Faute-sur-Mer, l'État a exproprié. Donc, on a aussi dans la panoplie des solutions très radicales. Maintenant, est-ce que la sagesse ne veut pas que, plutôt que d'attendre des expropriations, toute une série de mesures, y compris en termes de réflexion sur l'urbanisation, y compris éventuellement sur des incitations et des aides à déménager, soit mise en place ? C'est ce travail-là qui, à mon avis, est à mener. Parce qu'on peut répondre de façon très brutale, et c'est à juste titre que l'État a décidé qu'il serait dorénavant impossible de construire dans cette zone. Mais c'est une réponse, je dirais, ex post. Et de l'assurance, ou en tout cas, il me semble que l'ambition qu'on peut avoir, ce n'est pas d'attendre simplement que l'événement surgisse et puis de faire. C'est une conception un tout petit peu étriquée, qui nous ramène presque des siècles en arrière en ce qui concerne les mécanismes d'assurance et de partage.

Est-ce que quelqu'un veut apporter un élément de réponse ? Oui, c'est un cas de schizophrénie temporelle. Si vous prenez par exemple les rapports de la Banque mondiale sur les États insulaires, généralement deux conclusions : ils disent qu'il faut financer l'adaptation au changement climatique d'un côté, et de l'autre côté, il faut financer le secteur touristique, c'est-à-dire les hôtels de luxe les pieds dans l'eau. Pour la raison très simple, c'est que c'est toute la difficulté. Aujourd'hui, si vous voulez gagner de l'immobilier à 5 ans, il faut investir dans l'immobilier de luxe en montagne ou au bord de mer. Et en même temps, si vous voulez vous préparer à l'adaptation au changement climatique à 50 ans, il faut arrêter de le faire. Et on a des échelles temporelles qui sont totalement disjointes. Donc, comment est-ce qu'on fait pour créer des échelles de la temporalité qui permettent de faire cela ? Ce sont des questions institutionnelles, juridiques, philosophiques. Il faut sortir de cette schizophrénie-là. Mais sinon, je dirais, il faut absolument investir au bord de mer pour construire des grands hôtels. D'ailleurs, la montagne, ça va. Un projet de Collège de France les pieds dans l'eau ? Ah ben voilà, nous ça va, on est pas mal, on est un petit peu en altitude, on ne risque pas grand-chose.

Est-ce qu'au panel vous avez des questions ? Encore Thomas ? On en avait éventuellement une dernière pour relier la conférence vis-à-vis du sujet de la cité de la réussite. Donc, une question générale : quel est le rôle de la confiance pour vous dans la résilience d'une société ?

Confiance ? Confiance, est-ce qu'on peut avoir confiance dans nos gènes déjà ? Oui, je pense, sinon on ne serait pas là. Moi, je pense, je vais dire ce que j'avais dit au début : si on regarde vers l'arrière, plus ou moins tout s'est relativement bien passé pour ceux qui ont survécu, non ?

C'est qu'il faut avoir une forme d'espérance. Et une forme d'espérance, c'est dessiner un horizon d'attente qui fasse le lien entre une communauté d'expérience. La communauté d'expérience, c'est le sentiment d'une société donnée à un moment de vivre la même transformation. Je crois qu'on l'a aujourd'hui avec le changement climatique. En revanche, on n'a pas cet horizon d'attente qui peut donner de l'espérance. Et bien évidemment, il faut le faire de manière exigeante parce qu'on ne va pas faire croire qu'on va avoir la même forme du temps que le progrès indéfini. Et le lien peut-être entre les deux, si on regarde comment les sociétés fonctionnent, les sociétés consacrent l'essentiel de leur énergie à produire de la société. On croit d'ailleurs que la société consacre l'essentiel de son énergie à produire des biens matériels, à produire des capitaux financiers, etc. Non, non, pas du tout. À faire du lien social. Et peut-être que si on veut réactiver ça, il faut retrouver ce moteur qui fait que l'essentiel de l'énergie d'une société doit être de faire de la société avant de mettre cette énergie dans une accumulation stricte de biens matériels, sans qu'elle produise tous ces liens. Et je crois que beaucoup de choses changent. On voit beaucoup de choses qui changent dans plein de secteurs. Tout change, l'architecture, il y a beaucoup d'expériences très intéressantes. En revanche, on n'a pas la chose qui permet de cristalliser en dessinant un horizon d'attente qui puisse être porté politiquement aussi. Et là, c'est sans doute là que le travail collectif, on ne met pas assez d'énergie dans notre travail collectif.

Thierry Derez : Comme j'ai un peu le sentiment d'incarner le court terme par rapport à mes amis sur l'estrade, d'abord je recommande la lecture d'un livre parce que la lucidité est quand même quelque chose à encourager. Ce livre, c'est "L'étrange défaite" de Marc Bloch. Beaucoup évidemment l'ont lu. Le relire n'est pas nécessairement inutile. C'est chez Gallimard, édition Folio. Sinon en Quarto, toujours chez Gallimard. Bon, pourquoi encore une fois ? J'entends bien que ce sont des questions à horizon beaucoup plus bref que ce qui vient d'être évoqué. Mais nous devons peut-être prendre conscience que nous vivons une époque totalement singulière. Et je vais focaliser sur un pays dont j'espère qu'un jour vous le connaîtrez, qui s'appelle la France. Je vais simplement prendre l'Hexagone, donc 551 000 km² à la surface de notre petite planète. Et ces 551 000 km², je vais les promener dans le temps et je vais chercher dans le temps une période qui, comme celle que nous venons de vivre, près de 80 ans, présente cette caractéristique d'avoir l'ensemble des morceaux de ce territoire en paix. Pour l'avoir fait, vous vous promenez à travers les siècles pour retrouver une séquence de temps sur l'Hexagone pendant laquelle il n'y a pas eu de guerre sur le territoire. Il faut remonter aux Antonins. Nous vivons donc une situation malgré tout singulière puisque c'est la première fois depuis 18 siècles que nous vivons sur plusieurs générations la paix. Si je l'évoque là, c'est que peut-être la guerre constitue un ordinaire plus habituel pour l'humanité et éventuellement pour la France. C'est en quoi je souhaite que sur toute une série de sujets, la lecture du livre de Marc Bloch, qui montre au moment du désastre l'incurie, un optimisme béat, une irresponsabilité, une incapacité, peut-être cette lecture rafraîchit les esprits. Et sans aller jusqu'à un pessimisme qui ne serait pas celui que j'ai dans mes gènes, j'ai bien compris, étant un survivant et appelé à survivre grâce à mes enfants, l'avenir est pour moi bon. Bref, il reste que nous avons un véritable travail de lecture. Parce que j'ai toujours été impressionné par la réponse de certains Français, pas tous, je pense même pas qu'ils soient dans la salle d'ailleurs, se scandalisant de ce que leurs enfants ne vivraient pas mieux qu'eux. Je pose la phrase : il n'est pas normal que mes enfants ne vivent pas mieux que moi. Mais quelle arrogance ! Mais quelle arrogance ! Est-ce que nos ancêtres, qui avaient affronté toute une série de guerres, toute une série de catastrophes, etc., auraient seulement osé employer une formule comme celle-là ?

Et bien nous, nous le faisons en tout cas. Une bonne part de la population accepte de le faire. Bref, nous avons quand même fait preuve, grâce à ce terreau qui a été la paix, grâce à ce terreau qui a été la prospérité, d'un optimisme, d'une naïveté qui est peut-être excessive. Et plutôt que d'attendre par les faits, par la violence, par la guerre, un rappel à la raison, essayons, essayons dans la mesure du possible de nous préparer. Avec cette évocation de Marc Bloch juste au pied du Panthéon qui est là-haut. Effectivement, cette singularité qui est de cette parenthèse historique, qui est d'avoir cru qu'on ne connaîtrait plus jamais la guerre sur notre sol, montre d'ailleurs que des grandes questions qui déterminent des choix très pratiques relèvent de débats qui sont historiques, philosophiques, scientifiques et pas forcément d'experts. Puisqu'effectivement, il y a une erreur collective de penser que la guerre ne pourrait pas revenir. Mais la question qui doit se poser, c'est est-ce qu'on sort de la guerre par la guerre ? Et le livre de Marc Bloch, il faut se rappeler qu'il est écrit en pleine guerre pour préparer la reconstruction, c'est-à-dire le monde d'après. Et il y aurait aujourd'hui un grand danger, c'est une des ambiguïtés du thème de la guerre écologique, c'est de croire qu'on va sortir de la guerre par la guerre. C'est la perpétuation de la guerre avec un affrontement entre les nations pour des ressources qui sont limitées, qui ne permettront pas de financer cette courbe du progrès infini pour tout le monde. Au contraire, pour sortir de la guerre, il faut préparer la reconstruction. Et c'est la leçon de Marc Bloch dans des moments extrêmement imaginaires. Écrire ce livre au moment où les choses sont les plus sombres, continuer à faire de l'histoire comme historien, tout le monde leur disant "mais ça ne sert à rien, ça ne sert à rien dans ces circonstances". Et bien, il a fait exactement l'inverse et c'est ça la leçon, je pense, du livre.

Avant de donner la parole à la salle, pardon, j'entends, je souscris complètement, je souhaiterais simplement insérer une nuance. Nous sommes en guerre économique, à défaut et tant mieux, d'être en guerre militaire. Nous sommes en guerre économique et dans cette guerre économique, est-ce que nous n'avons pas tous les jours des preuves de notre naïveté, de notre candeur par rapport à d'autres grands blocs ? Je ne pense à personne en particulier, mais mettons que, entre les États-Unis qui inventent, la Chine qui produit, nous en Europe, on réglemente. Est-ce que la réglementation est en soi un produit qui pourra nous permettre d'affronter les défis du futur ? J'en suis pas, à titre personnel, totalement convaincu. Donc le livre de Marc Bloch, évidemment, ne demande pas à ce que l'espèce de purge, de catharsis que constituerait la guerre soit l'horizon indépassable. Mais on peut aussi comprendre, interpréter le livre de Marc Bloch comme un appel au sérieux, à une forme de résolution en ce qui concerne la guerre dans laquelle nous sommes aujourd'hui, la guerre économique.

Lluis : Oui, oui, je suis d'accord avec ce que mes collègues disent. Mais ce que je veux ajouter aussi, c'est que par rapport à la question qui vient de nous être posée, de la confiance, ce n'est pas que je vive dans le monde de Mickey, on va dire, mais je trouve que les nouvelles qu'on apprend, et là, les journalistes, mais les journalistes ne font que jouer le jeu de ce que la société demande. Un jour où il n'y a pas de news sur une guerre, de l'antisémitisme, du racisme, de je ne sais pas combien de femmes violées, la réaction qu'on a, c'est "ah, ils n'ont pas grand-chose à dire aujourd'hui au JT". Et j'ai l'impression que l'histoire s'écrit, et là vous allez me corriger, je ne suis pas historien, mais quand l'histoire des mauvaises choses, mais quand on nous montre que les baleines sont en train de reprendre une taille de population importante, des choses comme ça, on s'ennuie un peu. Et j'ai l'impression que parfois on revient presque à l'époque romaine où il faut avoir de la souffrance, du sang. Donc par rapport à la confiance, je pense que c'est quelque chose à laquelle il faut qu'on réfléchisse aussi. De la même façon que la radio, je ne sais pas si ça existe encore, mais avant on disait pour autant de chansons en anglais, il faut mettre le même nombre de chansons en français. Je trouve que ça ne serait pas mal aussi que chaque JT ait un minimum syndical de bonnes nouvelles à donner au peuple.

Alors très vite, c'est la faute de notre cerveau. C'est la faute de notre cerveau parce que notre cerveau réagit trois fois plus fort aux mauvaises nouvelles qu'aux bonnes nouvelles. C'est un mécanisme de protection. Notre cerveau aussi nous protège, c'est notre premier assureur d'ailleurs, pour tout dire. Et comme il a en priorité le souci de nous maintenir, maintenir notre intégrité corporelle, etc., il est beaucoup plus sensible aux mauvaises nouvelles qu'aux bonnes, 1 à 3. Et d'ailleurs, dans un amphithéâtre hier, Gérald Bronner précisait que dans sa conférence, un jour un journal avait décidé de couper court cette situation et de ne donner que des bonnes nouvelles. Chute de l'audience de 75 %. D'accord, donc il faut annoncer des mauvaises nouvelles.

Le temps que le micro aille jusqu'à Monsieur, Grégory : Oui, la confiance, ce n'est pas ni le pacifisme ni l'irénisme naïf. C'est de dire qu'on ne gagne une guerre que si on sait quelle société on veut reconstruire. Oui, la conférence de Philadelphie qui prépare l'ordre mondial après la guerre mondiale, elle est organisée en pleine guerre. On ne gagne une guerre que si on sait où on va. Si on ne sait pas où on va, on est condamné à continuer la guerre. Donc c'est ça la question. On peut annoncer les mauvaises nouvelles, mais si on n'est pas capable de dire qu'est-ce qu'on veut reconstruire, à quoi va ressembler la société d'après, même si elle est incertaine, même si elle est menacée de tous les côtés, on ne peut pas gagner la guerre.

Monsieur, le panel prend la parole. Là aussi, quand il vous plaît. Bonjour à tous, Erwan Roux, je suis directeur de la maintenance du tramway au Luxembourg et ma question s'adresse plutôt à vous, Monsieur de Derez. J'ai relativement confiance, je suis dans le thème de la Cité de la Réussite, mais a priori, c'est-à-dire que ce n'est pas un chèque en blanc dans la capacité des assurances à réguler les appétits féroces de tous les autres à aller, je dirais, pomper les ressources jusqu'à l'os. Et pas tellement d'ailleurs en ne faisant qu'augmenter les cotisations quand le risque augmente, mais plutôt en régulant aussi ces fameux appétits. Et je voudrais vous entendre là-dessus.

Merci. Les assurances ne représentent qu'une fraction modeste. J'imagine que vous pensez aux investissements dans toute une série de domaines et de secteurs. Donc les assurances, effectivement, sont des investisseurs qui ont un rôle à jouer. Maintenant, ce dont les assurances ont besoin aussi, c'est d'orientation, de guides qui soient suffisamment cohérents et précis.

Je vais tenter de vous donner une illustration. Il y a maintenant un an, non même pas, 10 mois, 17 procureurs d'État américains ont écrit à des institutions financières pour leur dire que tous leurs discours, toutes leurs pratiques qu'on appelle ESG, ça les étonne. Ça les étonne parce que votre métier à vous, c'est de générer du résultat et ça les étonne que vous en parliez entre vous. Pour eux, le fait que vous l'évoquiez, ça s'apparente quand même à une entente. Et si vous faites du business chez nous, parce que c'est le mot là-bas, si vous faites du business chez nous, on regardera avec beaucoup d'attention si, un, vous remplissez vos devoirs en tant que dirigeant d'entreprise, à savoir gagner de l'argent, et deux, si vous n'êtes pas en train de vous mettre d'accord sur notre dos avec un mécanisme qu'on appelle une entente. Vous avez deviné bien entendu que les 17 procureurs en question sont des procureurs d'État plutôt du centre des États-Unis, des États où, bizarrement, il y a soit du gaz, soit du pétrole, soit du schiste. Mais vous avez ce phénomène de fraction. Et au contraire, sur les côtes américaines, et ça recoupe à peu près les votes qui se sont exprimés il y a pas très longtemps, il me semble qu'ils ont voté il y a pas longtemps, non ? Donc, le sujet est aussi d'avoir des guides qui soient suffisamment longs et fiables. En Europe, la confection de ces standards prend énormément, énormément, énormément de temps. Et en fait, chaque mois, chaque année qui passe où nous n'avons pas accès à ces standards retarde la mise en œuvre utile. Donc, mon ennui à moi, c'est que ça tâtonne beaucoup sur ce sujet. Qu'on nous donne une règle du jeu. Nous ne sommes pas des scientifiques, nous ne sommes pas des politiques. On a besoin d'un avis cohérent, politique, science. On appliquera.

Une autre question juste là-bas.

Bonjour, donc merci pour vos interventions. J'ai une petite question pour Monsieur Derez, désolé pour les autres. Vous avez parlé de guerre économique et en même temps, vous avez parlé de temps court et temps long. Donc, temps long, on intègre tout ce qui est changement climatique et défi de la résilience. Donc, dans cette guerre économique dont vous avez parlé, comment est-il possible d'intégrer ce temps long, ces défis de changement climatique et du coup cette résilience ?

Quand j'évoque la guerre économique, j'ai quelques exemples en tête. Pardon, c'est dans le monde de l'assurance. Nous avons depuis 2016 une réglementation, et ça rejoint la question précédente, qui s'appelle Solvency II. On parle anglais, nous, dans l'assurance, on n'est pas des clowns. Cette réglementation, entrée en vigueur en 2016, a été en gestation à côté d'un éléphant c'est rien. On a commencé à en parler en 1999, donc le millénaire précédent. Donc, pas été vite, hein. Ce que je veux souligner, c'est que ces normes ont été confectionnées avec le concours des États-Unis. Les États-Unis ont participé à l'élaboration de ces normes. On est arrivé à un cas en 2014. En 2014, l'Europe a considéré, et les États-Unis aussi d'ailleurs, alors délégué, qu'on était prêt et qu'on pouvait y aller. À ce moment-là, les Européens, en anglais d'ailleurs, je pense, se sont tournés vers les Américains par courtoisie pour leur dire : "Voilà, nous, on va appliquer Solvency II en 2016, vous, c'est quand ?" Et à ce moment-là, divine surprise, les Américains ont dit : "Mais nous, on est venus pour vous aider à confectionner vos normes, on n'a jamais eu l'idée de les appliquer." C'est ça, si vous voulez, la différence en termes de naïveté, hein. Faut appeler un chat un chat, entre certains pays participant à l'Union européenne et des pays dont certains ont pour caractéristique première le pragmatisme et d'autres une forme d'autorité qu'il est imprudent de discuter, même si vous habitez à Hong Kong.
Je termine avec une citation du grand Winston. On interrogeait Churchill sur ce qui était à ses yeux la différence principale entre les Français et les Anglais. Et vous vous souvenez évidemment que Churchill était francophile. Eh bien, Churchill a répondu : "Je dois dire que nous, les Anglais, nous ne sommes pas très bons pour faire la théorie de la pratique."

Bonjour, une question à l'historien. Est-ce qu'il y a des systèmes politiques ou sociaux dans l'histoire qui permettent de résister mieux aux grandes crises, notamment climatiques ?

Alors, je n'irai pas jusqu'à une granularité qui sont les grands systèmes, démocratie par rapport à tyrannie, même si aujourd'hui c'est à la mode de suggérer que les régimes autoritaires seraient plus à même d'affronter ces crises-là. Je pense qu'on manque encore d'éléments. Je vais répondre à un niveau de granularité plus fin. Ce qui fait tenir, c'est ce que Rosanvallon appelle les échelles de la Généralité, c'est-à-dire la capacité d'un système politique à articuler différentes échelles qui forment un territoire allant du village jusqu'à la région, jusqu'à l'ensemble de la nation. Et dans la capacité à se transformer, je pense que les systèmes qui s'en sortiront le mieux seront ceux qui seront capables de proposer non pas simplement des solutions locales de transformation au risque d'une féodalité écologique, ni des solutions nationales qui ne sont pas capables d'avoir une prise de réel pour embarquer tout le monde. Par exemple, une solution qui serait centrée simplement sur les métropoles. Mais un système politique capable de mobiliser des échelles de la Généralité en leur donnant un contenu à la fois environnemental, économique, culturel. Et c'est d'ailleurs aujourd'hui, je pense, un des éléments de faiblesse de notre pays, puisque le politique a perdu en grande partie la vision et la compréhension du territoire. D'ailleurs, on dit les territoires comme si tout était éclaté. Comment est-ce qu'on lie ça ensemble et comment on circule de l'une à l'autre, sachant qu'à chaque échelle on observe des choses différentes et on est confronté à des enjeux différents ? Ce qui est d'ailleurs ce que fait aussi l'assurance à des échelles de la Généralité, puisqu'on assure quelqu'un et en même temps on a des mécanismes collectifs de solidarité qui permettent de rendre ceci lisible.

Alors, monsieur, une question.
Oui, d'abord merci pour la profondeur de ces échanges très inspirants. Voilà, mon analyse, comme beaucoup d'autres l'ont, c'est que ces fameux objectifs de +1,5 degré en 2100 et zéro carbone en 2050 ne seront pas atteints. Tout indique qu'il y aura des températures plus élevées, qu'il faudra s'adapter. Mais ma question est la suivante. Il m'a semblé que dans vos échanges, on a un peu mélangé l'impact du réchauffement climatique sur les espèces, sur l'espèce humaine et sur les sociétés. En d'autres termes, ce que nous a indiqué Lluis Quintana-Murci, c'est que finalement, c'est comme ça que je le comprends, Homo sapiens est arrivé à s'adapter à des très hautes températures, des très basses températures, à tout un tas de situations. Donc, est-ce qu'on pourrait être d'accord sur le fait que, enfin, parce qu'il y a tellement de catastrophistes qui parlent de la disparition de l'espèce, est-ce qu'on pourrait être d'accord pour dire que la question n'est pas la disparition de l'espèce parce qu'elle ne disparaîtra pas, mais que la grande question c'est l'impact du réchauffement climatique sur la société et sa résilience ou son adaptation ou son changement potentiel ? Voilà, c'est ça ma question. Parce qu'il y a tellement de discours extrémistes, je dirais, sur le fait que l'homme, la femme disparaîtrait de cette planète à cause des deux ou trois degrés qui auront des impacts colossaux. Mais voilà, plus question de société.

Allez-y sur cette question conclusive.

Non, on ne va pas disparaître. Aujourd'hui, on est beaucoup mieux équipé culturellement, technologiquement, au niveau prévoyance et d'autres choses qu'il y a 200, 300, 400 ans et on n'a pas disparu avant. Après, je veux nuancer un peu ce que j'ai dit. On a survécu à plein de choses, mais à quel prix ? Parce que ça dépend de si on parle, comme tu dis, au niveau de l'espèce. On est ravi d'être tous là parce qu'on est les descendants de tout ce que j'ai dit avant, mais il y en a beaucoup qui ne sont plus là, qui ont disparu entre-temps. Après, on est équipé pour... Prenons un exemple. Il n'y a pas que l'adaptation biologique, il y a aussi les migrations. Encore une fois, d'un point de vue évolutif, en Europe, jusqu'à il y a 11 700 ans, la fin de la dernière glaciation, pendant une longue période en Europe, qui était déjà habitée par les humains depuis 40 000 à 50 000 ans, jusqu'à il y a 12 000 ans, il y a eu un moment où il y a eu des refuges. Les populations se sont réfugiées dans la région franco-cantabrique, c'est-à-dire sud de la France, nord de l'Espagne, en Italie et dans la mer Noire. Le reste, les populations étaient parties. Donc, on va s'adapter, que ce soit technologiquement, culturellement, avec des mouvements de populations auxquels il va falloir faire face. Et ça, je le dis complètement autrement, c'est partie de notre histoire. Et on n'a pas le temps, parce qu'on dépasse déjà. Il n'y a pas que l'adaptation biologique, il n'y a pas que l'adaptation génétique qui met très longtemps. Il y a ce qu'on appelle la plasticité phénotypique, c'est-à-dire on peut s'adapter via des mécanismes très complexes qu'on appelle l'épigénétique. Et on n'a pas le temps aujourd'hui, même si ces mécanismes-là, on ne les transmet pas à nos descendants comme on le fait avec la génétique.

Merci vivement. Le choc est dur, il va falloir de la résilience, mais c'est la fin du débat et l'heure d'aller manger aussi. Alors, je ne peux pas ne pas laisser la parole, mais vraiment très très peu. D'abord, j'enregistre que Monsieur le professeur nous donne une note correcte, mais nous fait remarquer qu'on n'a pas complètement traité le sujet, qu'on a un peu passé à côté. Donc, merci Monsieur le professeur. En réalité, l'objet du changement, c'est la société. C'est un grand mot, c'est notre mode de vie. Il y a une formule qui est jolie, je crois que c'est Paul Valéry : "La civilisation occidentale est l'héritière de la pensée grecque, du droit romain et de la religion judéo-chrétienne." Voilà, quel type de mutation nous sommes disposés à accepter, quel mouvement on va faire. Mais ce n'est pas seulement une civilisation, c'est un grand mot, c'est un mode de vie. Et là, ça renvoie un peu quand même à l'initiative de chacun, à la paresse, qui est un sentiment plutôt assez répandu dans l'espèce humaine par rapport à des habitudes, par rapport à des comportements. Pourquoi pas ? Mais ça me paraît être vraiment le mode de vie beaucoup plus qu'une civilisation à changer. Quant à l'être humain, un message tonique et d'espoir signé Nietzsche : "La vie n'est qu'une moisissure à la surface de la planète." Eh bien, moisissez bien !

Merci vivement à tous les trois de la richesse de cet échange avec l'espoir. Je l'ai retenu dans ce que vous nous avez dit. Merci à toutes et merci à tous.

 

Paris – Le Collège de France – dimanche 24 novembre